Partout en Europe, les grossesses adolescentes sont en augmentation. Le sujet est dans l’air: en 2007, les scénaristes de Hollywood lui ont consacré un film (« Juno »). L'an dernier à Cannes, c’est un sujet français, « 17 filles » (d’après un fait divers, 17 adolescentes faisant le pacte de tomber enceintes), qui était présenté officiellement. Un deuxième phénomène est lié à ces mères mineures : l'augmentation des avortements chez les adolescentes. L’usage « décuplé » de la pilule du lendemain ces dix dernières années n’a pas réduit le nombre d’IVG, ni celui des grossesses précoces, au contraire.

Le paradoxe de la sexualité adolescente

Les grossesses adolescentes sont un sujet qui interroge directement la sociologie. Les jeunes et très jeunes parents sont au cœur du paradoxe qui invite les ados à une liberté sexuelle sans tabou ni frein, mais leur interdit simultanément la paternité. Il y a cinquante ans, on avortait clandestinement. Aujourd’hui, nos plus jeunes donnent la vie en contrebande. C'est donc un échec collectif de la prévention en matière de sexualité, qui appelle une réponse. Nous croyons percevoir que les très jeunes parents tentent de « réparer » les dégâts collectifs de la normalisation de l’avortement sur leur génération entière. Ils en sont les grandes victimes et en même temps, une clé de la solution.

Que la compassion change de camp

Si la banalisation de l'avortement a été introduite, par votation populaire il y a dix ans, au nom de la compassion envers les femmes aux prises avec une grossesse précaire, la même compassion devrait aujourd’hui être offerte aux jeunes et très jeunes déterminés à poursuivre une grossesse, à la place de l’opprobre et de la condamnation. Car les jeunes parents se ressentent fortement comme une population négligée. Ils se montrent très remontés contre une société qui les pénalise ensuite, dans l’accès à la formation, aux bourses d’études, au logement; les régies immobilières et même parfois les services sociaux les ignorent ou leur sont hostiles. On leur reproche régulièrement de ne pas avoir avorté, parfois en présence de l’enfant dans sa poussette. Une grossesse adolescente menée à terme relève aujourd’hui de l’héroïsme en opposition à l’accès facilité à l’IVG sans proposition alternative.

Une aide ponctuelle, pratique et dénuée de tout paternalisme

Les parents adolescents sont un signe particulièrement puissant pour la génération montante, alors que tout est fait pour dissuader cette dernière d’avoir des enfants jeunes ! Les aider, c’est s’opposer frontalement à la pensée unique. Mais attention! Deux ans de recherche en immersion dans les foyers nous ont convaincu que le secours dédié aux jeunes et très jeunes parents (où tout est à créer ou presque) doit sortir de l'ornière historique qui a consisté à aborder cette population avec une démarche institutionnalisante, c'est-à-dire de tutelle marquée par le paternalisme. Au contraire, les jeunes et très jeunes parents, en bisbille avec la génération de leurs aînés, ont ce désir, parfois jusqu’à l’absurde, de prouver qu’ils sont capables d’assumer leur enfant. L’émulation fonctionne à plein et ces jeunes s’imposent une rigueur qu’aucun éducateur n’oserait se permettre. Ces jeunes mères trouvent spontanément la manière dont il convient de réagir à l’oppression sur leurs grossesses précoces. Et c’est par elles que peut passer, grâce à l’ouverture d’espaces de dialogue, une prévention d’un type nouveau auprès de leurs pairs

Michel Hermenjat

« Les jeunes parents, des contrebandiers de la vie ? » (Fribourg, Molino, 16.11, 19h) conférence avec Michel Hermenjat, éducateur spécialisé auprès d'adolescents en rupture et auteur de « Cet enfant qui m'a manqué », premier livre à évoquer en français le vécu d'un père après l'avortement et Karine Demierre, assistante sociale HES, ancienne mère adolescente et cofondatrice de l'association JeunesParents, le vendredi 16 novembre au Molino, rue de Lausanne 93 à Fribourg.