Grandes manoeuvres dans l’édition romande

Olivier Grivat
Olivier Grivat
Journaliste indépendant, auteur d'ouvrages liés à l'histoire de la Suisse
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Les Editions Favre sont passées dans le giron du groupe Libella appartenant à Vera Michalski-Hoffmann. Mais qui est cette mécène, héritière de l’entreprise pharmaceutique bâloise qui porte son nom et qui s’apprête à inaugurer une Maison de l’Ecriture au pied du Jura vaudois?

Vous cumulez des origines autrichiennes et russes, une enfance en Camargue, dans le sud de la France, vous avez été mariée à un Polonais et vivez en Suisse, combien de passeports possédez-vous donc?

Un seul, le suisse. J’aurais pu avoir un passeport polonais par mariage, mais j’ai pensé que ce n’était pas utile. Je parle couramment cinq langues : français, allemand, espagnol, anglais et polonais et je comprends un peu le russe, la langue de la branche maternelle...

Votre enfance en Camargue était due à la passion de votre père, Luc Hoffmann ?

Mon père, le petit-fils du fondateur de la multinationale pharmaceutique, était passionné par les oiseaux. Il y avait fondé une station de recherche ornithologique dans ce lieu de passage des oiseaux migrateurs, qui s’est étendue par la suite à d’autres espèces dans le domaine de la protection des milieux naturels. Nous étions à 28 km de la ville d’Arles. C’était un petit hameau sans électricité et sans le téléphone au départ, dans lequel nous vivions avec un groupe d’enfants, ceux des collaborateurs scientifiques ou des agriculteurs et viticulteurs voisins. Mes parents avaient créé une école agréée par l’éducation nationale française. Nous étions 14 élèves jusqu’à l’âge d’aller au lycée d’Arles. Nous étions intégrés comme de petits Français. Nous continuons du reste d’y passer nos vacances. Nous étions trois filles et un garçon. Ma sœur Maya y est très attachée. Elle veut installer à Arles un centre d’études dédié à la photographie. (réd: Vera Michalski siège au conseil de la fondation camarguaise de son père à la Tour du Valat, devenue l'un des centres de recherches en zones humides les plus importants au monde)

En ce qui vous concerne, c’est plutôt les livres et l’écriture, même si vous n’écrivez pas vous-même?

Avec mon mari Jan Michalski rencontré sur les bancs de l’Uni à Genève (réd : décédé très tôt d’un cancer en 2003), nous avons voulu concrétiser cette maison d’édition pour traduire en français des textes d’auteurs polonais et russes. C’était en 1986, avant la chute du Mur. Ce n’était pas toujours évident d’avoir accès à des textes polonais en France. Nous avons donc implanté un bureau à Varsovie, dès que cela a été possible. On a eu accès à beaucoup d’auteurs qui n’avaient jamais été traduits en polonais, comme Henri Miller.

Pourquoi s’être implantés au pied du Jura vaudois?

On s’est marié en 1983. Nous avons trouvé ce lieu idéal pour élever de jeunes enfants (réd : ils ont eu deux filles, âgées aujourd’hui  de 22 et 24 ans qui étudient à Paris, l’une l’architecture, l’autre dans une école de cinéma). C’est un environnement très sain, proche de la nature. En hiver, Montricher émerge souvent de la mer de brouillard. Jan aimait beaucoup cette région, le panorama dégagé, la forêt… C’est là tout naturellement que nous avions pris la décision de bâtir cette Maison de l’Ecriture.

Vous avez aussi un pied à Lausanne avec le nouveau siège de vos maison d’éditions regroupées sous la holding Libella*?

Lausanne abrite le siège du groupe Libella. Je ne tiens pas à mélanger les deux choses. L’édition est une activité commerciale qui doit fonctionner financièrement, alors que la Maison de l’Ecriture est franchement du mécénat.

En tant qu’héritière d’une des plus grosses fortunes de Suisse, vous n’avez trop pas de soucis de rentabilité…

On essaie quand même de travailler de façon «normale» avec des comptes d’exploitation provisionnels, mais je peux me permettre de ne pas éditer que des livres à la rentabilité immédiate. Bien sûr, il nous faut aussi des livres qui tirent les autres, comme tout éditeur. Mais il y a certains auteurs, notamment des Polonais, ou des essais assez pointus que nous n’aurions pu publier si nous n’avions pas les reins solides. Il y a quand même des salaires à payer à la fin du mois, dont une quarantaine à Paris.

En Suisse, vous avez basé le siège de la Fondation Jan Michalski pour l’Ecriture et la Littérature. Qui fera partie du jury?

Il y aura le jury du Prix littéraire Jan Michalski de littérature internationale qui délivrera un prix de 50'000 francs. Il ne s’occupera que des livres et décernera un Prix à un ouvrage par an. Il y aura par ailleurs le Conseil de fondation qui va statuer sur les résidents admis sur dossier à séjourner à Montricher. Ils pourront vivre dans les cabanes suspendues de la Maison d’Ecriture conçue par l’architecte Vincent Mangeat. Le projet va s’étendre sur deux ans avec les premiers résidents attendus pour décembre 2012.

Du haut de ces cabanes suspendues, les occupants ne devront pas souffrir du vertige!

(rire) Il y en a une qui sera moins haute que les autres ! Les offres de séjour seront modulables contrairement à d’autres résidences. Le séjour pourra aller jusqu’à un an. Une cabane est même prévue pour un couple, sinon ce sera plutôt pour des hébergements individuels. Toutes sortes de possibilités sont envisageables, y compris pour l’écrivain qui voudrait écrire le livre qui va faire la différence dans sa carrière et qui aura besoin de s’éloigner de son quotidien. Ils pourront rester seul dans leur chambre ou aller au «scriptorium». Il y aura une bibliothèque, un auditoire pour accueillir des spectacles, concerts ou pièces de théâtre. Il y aura aussi une salle d’exposition modulable et d’autres pour accueillir colloques et séminaires.

Allez-vous introduire une priorité pour des auteurs romands ?

Non. Ni romands, ni polonais. Je voudrais vraiment que ce soit une perspective internationale. Pas question d’établir des priorités.

Allez-vous publier vous-mêmes dans vos propres maisons d’édition les auteurs que vous aurez ainsi soutenus?

Je ne pense pas qu’il faille lier les deux choses. En revanche, si le prix est décerné à un livre extraordinaire dont l’auteur n’est pas encore lié à une maison d’édition, il se pourrait que nous le publiions.

Concrètement, vous partagez votre vie entre la Suisse et la France… ?

… oui, avec également la Pologne, ainsi que les multiples salons du Livre un peu partout dans le monde. Dans le passé, nous avons ainsi soutenu le Salon du Livre de Jaïpur, dans le Rajasthan indien. C’est l’un des meilleurs salons en Asie. C’était vraiment intéressant, car c’est un endroit d’échanges multi-ethniques dans un pays qui connaît d’âpres tensions. Là, c’est tout le contraire, c’est vraiment un forum d’échange. Tout un symbole.

* Noir sur Blanc, Buchet-Castel, Phoebus, Le Temps apprivoisé, Anatolia et désormais les Editions Favre à Lausanne ainsi que deux maisons d’éditions en Pologne

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